Quatre réserves, dont celle de Sainte-Soline, sont illégales en l’absence de dérogation « espèces protégées »
Par un arrêté du 23 octobre 2017, les préfets des Deux-Sèvres, de la Charente-Maritime et de la Vienne ont autorisé la société coopérative anonyme de l’eau des Deux-Sèvres à construire et exploiter dix-neuf réserves de substitution sur le bassin de la Sèvre Niortaise-Mignon, pour une capacité initiale de stockage d’eau de 8 648 582 m3, ramenées à seize pour une capacité de 7 027 594 m3 par un arrêté du 20 juillet 2020.
Plusieurs associations, dont l’association Nature Environnement 17, ont demandé au tribunal administratif de Poitiers l’annulation de ces arrêtés. Par un jugement du 27 mai 2021, le tribunal a retenu que, pour neuf des seize réserves, le volume d’eau pouvant être prélevé était supérieur à celui autorisé par le règlement du schéma d’aménagement et de gestion des eaux de la Sèvre Niortaise et du Marais Poitevin et donné à l’administration un délai de dix mois pour mettre l’autorisation délivrée en conformité avec la réglementation. Par un arrêté du 22 mars 2022, l’administration a de nouveau réduit la capacité totale de stockage des retenues pour la porter à 6 194 042 m3 et a assorti l’autorisation précédemment délivrée de nouvelles prescriptions. Le tribunal administratif de Poitiers, par un jugement du 11 avril 2023, a estimé que ces modifications remédiaient aux illégalités relevées et a rejeté le recours formé contre l’autorisation délivrée à la société coopérative anonyme de l’eau des Deux Sèvres. Les associations requérantes ont contesté ces jugements devant la cour administrative d’appel de Bordeaux.
S’agissant des volumes d’eau pouvant être prélevés, la cour relève que l’administration a conditionné le niveau de remplissage des réserves au respect de seuils pertinents fixés au regard du niveau de la nappe phréatique et/ou de la hauteur des cours d’eau et prévu une obligation pour le bénéficiaire de l’autorisation de s’assurer en continu du respect des indicateurs. L’autorisation précise également que le bénéficiaire de l’autorisation doit rendre compte du respect de ces indicateurs auprès des autorités compétentes et qu’en cas de doute sur la fiabilité des mesures, il doit cesser tout remplissage et prendre contact sans délai avec le service en charge de la police de l’eau. La cour constate également que les prélèvements doivent être effectués entre le 1er novembre et le 31 mars et qu’ils ne peuvent débuter que lorsque la cote de la ressource souterraine et le débit du cours d’eau sont supérieurs aux seuils fixés mensuellement. Enfin, la cour relève qu’aucun élément au dossier ne permet de considérer que les prélèvements en période de hautes eaux induits par la création et l’exploitation des réserves empêcheraient le retour à un bon état quantitatif et qualitatif des cours d’eau. Au regard de l’ensemble des éléments dont elle dispose, la cour retient que, dans sa dernière version, le projet ne méconnaît pas le principe d’une gestion équilibrée et durable de l’eau.
S’agissant de l’atteinte que le projet est susceptible de porter aux espèces végétales et animales protégées, la cour constate que le projet s’implante dans un secteur sensible pour les oiseaux de plaine, en particulier pour l’outarde canepetière, espèce menacée et rendue particulièrement vulnérable par la dégradation de son habitat depuis les années 1970. Les éléments au dossier permettent de caractériser l’importance capitale pour la survie de cette espèce de la population d’outardes canepetières installée dans le secteur de la zone de protection spéciale de la Plaine de La Mothe-Saint-Héray-Lezay. La cour retient que pour les quatre réserves les plus proches de cette zone, le projet est, compte tenu de ses caractéristiques, de nature à détruire tout ou partie de l’habitat de cette espèce et lui porte une atteinte caractérisée. Elle juge donc que l’autorisation délivrée est illégale faute de prévoir une dérogation « espèces protégées » comportant des mesures de protection pour l’outarde canepetière pour ces quatre réserves situées aux lieux-dits « Bois de la Châgnée » à Saint Sauvent (SEV14), « Les Terres Rouges » à Sainte-Soline (SEV15), « La Queue à Torse » à Messé (SEV24) et « La Voie du Puits » à Mougon (SEV26). Elle estime, en revanche, qu’un tel risque n’est pas caractérisé pour les autres réserves.
En conséquence, la cour annule l’autorisation délivrée en tant qu’elle ne comporte pas de dérogation « espèces protégées » s’agissant des réserves SEV14, SEV15, SEV24 et SEV26. Compte tenu des risques que le projet est susceptible d’entrainer pour les espèces protégées concernées, la cour suspend l’autorisation accordée pour ces quatre réserves jusqu’à la délivrance éventuelle de cette dérogation. La cour précise que l’autorisation délivrée ne régissant que les travaux de création des réserves et de leurs équipements, cette suspension ne fait pas obstacle à l’utilisation, par les agriculteurs d’ores et déjà raccordés à la réserve SVE15 située à Sainte-Soline, qui est la seule à être déjà en fonctionnement, de la quantité d’eau stockée à la date de sa décision, cette utilisation devant être effectuée sans travaux ni transports supplémentaires et sans donner lieu à un nouveau remplissage de la réserve.
Lire l'arrêt n° 21BX02981, 23BX01579 dans sa version simplifiée
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